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la tradition du Moro Naba

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Un faux départ pour la guerre… et la victoire de la paix au Burkina Faso

Tous les vendredis, à Ouagadougou, devant le palais du grand chef traditionnel des Mossi, le Moro Naba, se rejoue la scène de renonciation à la guerre décidée par son ancêtre au XIIIe siècle.

Au petit matin, en ce vendredi, devant le palais du Moro Naba, la foule commence à s’agglutiner à l’ombre des tamariniers qui forment un large cercle autour de l’espace réservé aux chefs des clans Mossi. Burkina Bé, âgés et jeunes – comme ce bus d’adolescents venus d’un centre aéré – visiteurs étrangers, hommes et femmes, riches et pauvres attendent patiemment que la mise en place de la cérémonie se termine.

Aujourd’hui, comme chaque semaine, se rejoue la scène pathétique appelée le « faux départ ». Elle évoque l’événement dramatique  qui a failli entraîner une guerre meurtrière entre les deux frères de la famille régnante des Mossi. Le plus jeune frère avait tenté de s’emparer des droits de son aîné à la succession de la chefferie. Ce dernier, plein de colère et d’esprit de vengeance, avait appelé son peuple au combat fratricide qui aurait entraîné de nombreux morts parmi les lignages des clans qui se seraient alors opposés.

C’est pourquoi, les chefs de tribus et les ministres du roi décidèrent alors de venir de tout le pays mossi en délégation, avec une supplique demandant au roi de renoncer à la guerre.

L’évocation à laquelle nous assistons ce matin  n’est pas une mise en scène théâtrale. Les rôles de chacun des protagonistes sont joués, des siècles après l’événement,     par leurs successeurs actuellement en charge.

Le vaste espace circulaire s’étend devant les grandes entrées du palais sous l’ombre rampante des arbres séculaires. Au centre, un subordonné étend le tapis du premier ministre et son sabre. Celui-ci, comme tous les participants, est habillé d’un large boubou de couleur claire et coiffé du typique chapeau de chef Mossi, tissé de fils de couleurs rouges, jaunes, verts et marqué de signes symboliques. Les chefs marchent avec solennité.

Toute une hiérarchie de chefs traditionnels se déploie sur l’esplanade, les plus gradés sont les plus rapprochés des portes du palais et les autres se placent  à une distance respectueuse de leurs aînés en une succession de groupes assis par terre, selon la hiérarchie des pouvoirs. Avant  que commence la célébration proprement dite, les gestes d’allégeance se déroulent de haut en bas de l’échelle des droits. Les chefs supérieurs présentent leurs hommages aux ministres regroupés autour de la tête du gouvernement traditionnel. Ils reçoivent à leur tour les honneurs de leurs subordonnés qui les reçoivent ensuite des chefs de terre qui dépendent d’eux.

C’est une longue suite de salutations où les chefs se prosternent sur le sol, joignant et se frottant les mains au ras du sol en signe de soumission. La dignité avec laquelle les gestes sont posés rehausse la posture qui pourrait paraître humiliante.

Face aux portes du palais se trouve le fringant cheval de guerre du Moro Naba. Entièrement caparaçonné des ornements de combat en cuir, il se tient immobile en plein soleil, gardé par un serviteur qui n’a pas le droit de le monter, alors qu’il signale son impatience en grattant le sol sableux de son mince sabot. De lourds mousquets sont fichés en terre, appuyés sur leur support, tout proches,  la gueule tournée vers le ciel.

Sous un arbre, un groupe de musulmans. Ce sont les seuls qui ont le droit de garder leur bonnet –blanc celui-ci – en présence du chef suprême.

une représentation en bronze du Moro Naba,

au musée de Managa

Bientôt, les tambourinaires signalent l’arrivée prochaine du grand chef, tandis que le joueur de kora se positionne près des portes royales. Apparaît alors le Moro Naba, tout de rouge habillé. Il sort du palais par la porte de la guerre, entouré de ses pages. Un puissant tir de mousquet annonce la déclaration de guerre. Il s’assoit sur son siège honorifique face à son destrier. C’est alors que se détachent les ministres pour s’approcher de lui et, avec déférence, l’inviter à renoncer à la guerre contre son petit frère. L’un d’entre eux s’approche avec respect et insistance. Après un temps d’humble supplique, ils se retirent et retournent à leur place, au centre du vaste espace.  S’avancent alors sur le côté les chefs musulmans, avec la même exhortation. Le grand imam  se réfère au coran dont il lit des passages et ils s’éloignent à leur tour.

Après un temps de réflexion, le Moro Naba se lève et retourne au palais par la porte de la guerre. Aussitôt, des notables retirent à l’étalon, son harnachement de guerre et il est emmené au petit trot hors de l’espace de la rencontre. Son attirail est rapidement entreposé dans une chambre discrète, afin d’éviter que la vue de sa monture n’entraîne le Moro Naba à renoncer à ce qui semble avoir été sa décision de paix. Après un moment, celui-ci ressort tout de blanc habillé par la porte de la paix. Un puissant tir de mousquet annonce la fin des hostilités, et le Moro Naba retourne dans son palais.

Le cérémonial proprement dit aura duré une vingtaine de minutes et il sera suivi d’une réception des chefs qui prendront un repas et passeront la journée à gérer les questions qui dépendent de leur juridiction. C’est aussi un temps d’audience des visiteurs.

Pour brève que soit la cérémonie, il est significatif qu’elle soit reproduite chaque semaine avec tous les responsables des chefferies. Avec régularité est revécue la douloureuse tension entre la guerre et la paix, entre l’orgueil vindicatif de l’humilié et la décision de paix de celui qui décide de privilégier l’unité de son peuple.

C’est ainsi que tous ces personnages qui participent à un pouvoir - certes encore gérontocratique et masculin -  sont impliqués à un rythme hebdomadaire dans une parabole de paix rejouée sous les yeux de leur peuple et des étrangers…

Un exemple à proposer à quelques dictateurs africains ou arabes qui massacrent leur peuple pour rester les grands chefs ? Ou à chacun de nous, là où nous vivons des conflits au quotidien ?

 

publié le 06/07/2011 à 11:29 par Bernard UGEUX sur

http://www.lavie.fr/sso/blogs/post.php?id_blog=1459&id_post=1035